Il y a …
Il y a ceux qui ne voient en moi que celle que j’ai été. Ceux là me croient différente.
Il y a ceux qui ne voient en moi que le handicap. Ceux là me croient triste.
Il y a ceux qui ne voient en moi que l’immobilité. Ceux là me croient incapable.
A tous ceux là je crie : ouvrez vos yeux, voyez qui je suis, comme je suis joyeuse à ma manière et combien de montagnes j’ai déjà soulevées !
Ne me croyez pas différente, je suis toujours la même.
Ne me croyez pas triste. Ma vie n’a rien d’un mélodrame. J’aimerais tant que vous puissiez voir combien la joie est présente dans ma maison et dans mon coeur.
Ne me croyez pas incapable seulement parce que je ne vous ressemble plus. Comme dirait Marcel Nuss je suis « autrement capable » et il serait bon que vous le voyez.
A vrai dire le seul moment où personne ne voit rien c’est quand je suis assise en voiture. Sur le siège passager, fenêtre ouverte, je redeviens normale aux yeux des autres. Il n’y a plus de roulettes, plus de mains tordues ou de pieds de travers. Cachée, à l’abri, on n’aperçoit de moi qu’un morceau normal, habituel, familier. Les regards ne se retournent pas, les gestes ne sont pas nerveux. Je peux être sereine et observer à mon tour toutes vos différences.
Quelle ironie quand on pense que cette même carcasse de voiture qui m’a brisée la nuque est aujourd’hui mon pare-handicap, mon bouclier de normalité.
Heureusement pour moi il y a ceux, rares, précieux, qui me voient sans que je ne doive être à l’avant d’une bagnole. Ceux qui ne disent pas :
– « Ha oui la dame en fauteuil ! »
Mais plutôt :
– « Ha oui la belle brune ! »
Quel bonheur d’entendre ça. Quelle joie de ne pas laisser de moi qu’un goût de ferraille. Je ne suis pas mon handicap. Je ne suis pas la rouille de mon fauteuil. Je suis cette belle brune qui un jour ensoleillé tenait sa petite soeur dans ses bras.
Pour faire le portrait d'un oiseau
Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger…
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.
Jacques PREVERT
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Chante ma petite Amélie, je te vois !
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C' est parce que vos yeux ont pleurés que vous la voyez si clairement.Toutes mes amitiés.
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