
Il y a 23 ans, ce weekend printanier avait la même configuration. Vendredi 20, samedi 21 et dimanche 22 avril. Il ne faisait pas grand beau comme aujourd’hui. Le temps était au contraire gris et humide. J’apprenais hier la naissance d’une petite Camille dont je devais être la marraine. Nous étions à la veille des vacances de Pâques. Comme chaque printemps les forains s’étaient installés sur la place du village voisin. Les électeurs étaient appelés à voter pour le premier tour des présidentielles desquelles Jacques Chirac sortirait vainqueur. Je redoublais ma seconde et je ne brillais pas cette année là encore par mes résultats scolaires. J’avais 17 ans moins le quart, je portais fièrement mon unique 501 offert par mes parents au dernier noël et des Dr Martens brunes. Je crois que j’avais coupé mes longues boucles peu de temps avant et j’arborais un joli carré noir.
J’aimais sortir, danser, boire, fumer. J’aimais faire la fête et papoter des heures avec mes copines. J’aimais déjà Baudelaire et Verlaine. J’aimais les garçons, surtout s’ils étaient plus vieux que moi. J’aimais aussi les filles mais ça ne se disait pas. J’aimais les histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe. Je crois que j’aimais ce qu’on aime quand on est une adolescente un peu mal dans ses Dr Martens brunes. J’avais déjà mes moments de mélancolies durant lesquels je noircissais des pages de rimes lugubres et d’autres plus euphoriques où j’organisais secrètement mon road trip à travers l’Europe accompagnée de mon chien et de mon sac à dos remplit de rien.
Depuis ce weekend de 1995 qui a totalement bouleversé ma vie, je n’ai jamais attendu l’arrivée de cet anniversaire comme je le fais cette année. Sans doute est-ce parce que pour la première je m’autorise à le vivre comme je l’entends, comme j’en éprouve le besoin, sans égard vis à vis de ce que les uns ou les autres pourraient en penser. Ce sentiment de liberté est absolument délicieux et il donne à cette journée une toute autre couleur que le gris auquel je m’attendais.
Pour autant je n’ai rien prévu de spécial. Écrire ce billet, écouter de la musique, lire un peu, profiter du magnifique soleil qui réchauffe ma carcasse et simplement ressentir ce qui viendra, ou pas, me semble être un bon programme pour fêter mon anniversaire d’accident. Penser également aux deux personnes qui étaient avec moi dans la voiture ce soir là. Le passager qui se trouvait à l’arrière et le conducteur bien sûr. Nous avons survécu tous les trois et nous pouvons en être reconnaissants. D’autres après nous n’ont pas eu cette chance. Il a fallut plusieurs accidents mortels après le nôtre pour que la zone soit déclarée à risque et que des mesures soient prises. Aujourd’hui des ralentisseurs et un radar ont été installés.
Lorsque j’évoque les circonstances de mon accident on me demande presque systématiquement si j’en veux au conducteur. Je ne crois pas avoir eu de ressentiment envers lui une seule seconde de ma vie. J’ai laissé ça aux autres. Parce que j’avais plusieurs fois avant cette nuit là pris le risque de monter en voiture avec des personnes qui avaient trop bu ou qui roulaient trop vite. Et si on y réfléchit nos proches, nos amis, nos voisins ont tous une anecdote sur une soirée trop arrosée après laquelle ils n’auraient pas du reprendre le volant. Pourquoi le détester ? Ça m’aurait demandé une énergie que je devais mettre ailleurs. « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Je ne me fais pas de souci pour lui il ne sera pas lapidé.
Si j’osais je pourrais même écrire que cet accident, aussi dramatique qu’il puisse paraitre, a donné une tournure à ma vie que je sais apprécier aujourd’hui. J’ai arrêté depuis peu de penser avec des « si » et des « mais ». En tout cas je m’interdis d’utiliser ces tournures de phrases. « Si » j’étais valide. Je ne lui suis pas. Continuer à alimenter mon esprit de suppositions qui ne se réaliseront jamais ne m’aide pas à avancer. La pensée positive n’est pas une lubie inventée par des bobos illuminés en quête de spiritualité. Notre cerveau est conditionné pour s’attacher aux expériences malheureuses et ne retenir que le négatif. C’est une manière de se protéger et de parer aux dangers. Mais il est loin le temps où il fallait être prêt à bondir devant l’attaque d’un tigre à dents de sabre. Aujourd’hui le seul véritable danger serait de justement se laisser envahir par les pensées négatives. J’en ai fait l’expérience ces derniers mois et je ne veux plus jamais revivre la même chose. Mon cerveau doit apprendre à obéir. D’autant que je suis de nature plutôt optimiste. Il va voir qui est le patron !
Une autre question revient souvent également, notamment lorsque je fais des sensibilisations : « N’y a t-il pas un espoir pour que vous puissiez remarcher ? La science fait des progrès ! ». Et souvent chacun y va de son anecdote, du reportage sur l’exo-squelette à celui des souris qui courent à nouveau comme des lapins après qu’on leur ait broyer la colonne vertébrale. Je laisse les idées et les exemples fuser pour mieux les sécher en leur répondant que si demain on me proposait une pilule pour réparer ma petite moelle épinière je ne suis pas certaine que je l’avalerais. Et c’est vrai. Ma vie est ce qu’elle est en grande partie parce que je suis tétraplégique. J’ai ces enfants là parce que j’ai eu cet homme là que j’ai rencontré dans ces circonstances là parce que je suis dans ce fauteuil. Et si finalement au lieu de gémir sur mon sort la solution ne serait pas de faire preuve de gratitude, non pas pour avoir eu cet accident mais pour en être où je suis. Cela me fait penser à une infirmière de réanimation qui, un jour où je devais être mal, m’a dit une phrase qui m’a accompagnée jusqu’à aujourd’hui : « Amélie, surtout ne focalise pas sur ce que tu ne peux plus faire, vois toujours ce que tu peux faire malgré tout ! ». Je l’ai oublié souvent dans les moments difficiles mais systématiquement elle est revenue comme un mantra. « Vois ce que tu peux faire, vois ce que tu peux faire, vois ce que tu peux faire … ». Et je vois oui :-)
L’heure de l’apéritif approche, le soleil brille encore plus fort à mes yeux, je suis en bonne compagnie et mon coeur est plus léger d’avoir écrit ce billet. C’est une belle journée pour commencer à apprendre à vivre. J’usurpe la signature d’un ami blogueur en particulier, parce que je pense à lui et que je lui souhaite de voir bientôt le soleil :
Paix et sérénité
J’admire ta sagesse, ta magnanimité et optimisme. Peut-être qu’un jour j’y parviendrai!
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Je suis certaine que tu as tout ça en toi et bien plus encore. Merci Lawrence 🙏
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C’est possible mais à l’heure actuelle je ne le resens pas. Merci beaucoup pour ton compliments Amélie
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Bonjour ma petite Amélie,
Te lire est un véritable plaisir, je sens une telle force en toi.
Tes mots, tes phrases, la tournure, à une encablure de la simplicité la plus pure qu’elle puisse être !
Je veux juste poser une requête, même si je ne suis pas en mesure d’en poser une face à ton humilité.
Je souhaite si cela est bien entendu possible, que tu utilises un autre mot pour parler de ton corps Amélie (ta carcasse a son unique exemplaire).
« Une femme avec une aussi belle âme a un corps unique en son genre ».
Paul Verlaine
Voila, c’est tout…
Je te souhaite un super weekend.
Tony
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Ah ma carcasse et moi … j’y penserai promis mais il y a encore du boulot !
Très bon week-end à toi aussi 😉
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Cool, ta carcasse le mérite bien…😉 Comme une voiture ancienne, elle est authentique !!!
Bon WE Miss Amélie.
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J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte. blog très intéressant. Je reviendrai. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir
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Tu fais preuve de grande résilience à ta façon Amélie. Une grande âme c’est ce que tu es. Je t’embrasse.
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Merci 🙏
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