
Demain, et comme chaque année depuis 1982 en France, a lieu la journée internationale pour le droit des femmes. Pour 2013 l’ONU a choisi d’axer cet évènement sur le problème des violences faites aux femmes :
« Une promesse est une promesse : il est temps de passer à l’action pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes »
Ban Ki-Moon, secrétaire général de l’ONU, déclare dans un message rédigé pour l’occasion que «toutes les femmes et toutes les filles ont le droit inaliénable de vivre à l’abri de la violence».
Evidemment je ne peux que me réjouir de ce choix, les femmes en situation de handicap étant en effet particulièrement exposées aux violences physiques ou morales.
Il faut pour cela comprendre qu’être une femme et être en situation de handicap, c’est comme subir une double peine. D’abord on est une petite chose fragile, puisqu’on est une femme. Ensuite on est une petite chose fragile, puisqu’on est handicapée. Bref à la fin, on est tellement fragile qu’il est très facile de nous casser !
Cette double discrimination est vraie dans toutes les sphères de nos vies, qu’elles soient publiques ou privées.
A l’école, au travail, à la maison, les femmes subissent des inégalités qui persistent encore aujourd’hui. Et elles sont encore plus vraies lorsqu’un handicap s’ajoute. Faire des études, trouver un emploi, devenir mère sont autant de projets légitimes mais trop souvent difficiles à mettre en œuvre.
Disposer de son corps lorsqu’on est lourdement handicapée est par exemple extrêmement compliqué et relève du parcours du combattant. L’information sur la contraception, la rencontre avec un gynécologue ou le fait simplement d’aborder le sujet de l’intime, du corps, de la sexualité peut s’avérer délicat en institution ou avec les parents. L’accès pur et simple à une table d’examen est parfois impossible et le personnel, la plupart du temps non formé, refuse d’apporter son aide. Et quand un professionnel refuse de prendre en charge une femme enceinte qui est en situation de handicap sous prétexte que « dans votre état on ne fait pas d’enfants » je crois qu’il n’est pas nécessaire d’en dire plus.
Alors des voix s’élèvent. Oh juste des murmures pour l’instant.
Sauf une. Celle de Maudy Piot.
Présidente de l’association Femmes pour le Dire Femmes pour Agir (FDFA), elle crie un peu trop fort ce que je ne pense pas tout bas. Féministe convaincue, elle pense s’exprimer au nom de toutes les femmes en situation de handicap. Mais elle se trompe.
Et notamment dans une lettre(1) adressée à François Hollande qui fait écho à celle envoyée par l’association CH(s)OSE(2) en février dernier demandant l’ouverture d’un débat sur l’assistance sexuelle, promis par le Président alors candidat à l’élection de 2012.
Elle a pourtant de belles idées, Madame Piot. Elle réclame, comme nous tous je crois, une société accessible, une sensibilisation accrue des jeunes enfants à la différence, une ouverture de l’espace public pour tous et avec tous. Elle affirme que dans ces conditions, nous, personnes en situation de handicap, pourront alors rencontrer des partenaires en exerçant notre « liberté de choix ». C’est chouette je trouve … enfin chez les Bisounours.
Sauf que moi je ne m’appelle ni Grosbisou, ni Groschéri. Et mes copines non plus. Nos prénoms sont Julie, Sandra, Karine, Marie, Emilie, Fabienne ou Amélie. Nous sommes toutes lourdement handicapées depuis notre naissance ou suite à un accident de la vie. Et toutes, nous n’avons pas eu accès à nous même depuis 15, 20, 30 ans. Ou même jamais. Bien sûr nous sommes lavées, vidées, sondées, mobilisées, levées, couchées, assises, habillées. Mais jamais touchées.
Dans son courrier Madame Piot affirme que la demande est essentiellement masculine. Jusqu’à récemment peut-être. Mais entendez-vous, Maudy, ces murmures dont je parle plus haut ? Ces voix, fluettes, timides, parfois rythmées par un respirateur, qui s’élèvent doucement. Ces filles qu’on a fait taire sous le poids du tabou, des non-dits. Ces femmes aphones, pliées sous cette violence morale qui leur fait croire depuis toujours qu’elles sont des incapables.
Vous dîtes également que « la vie sexuelle et affective des personnes handicapées doit se vivre dans la dignité ». Il faudrait ajouter alors : et dans la frustration !
De quelle dignité parlez-vous ? Celle de ne pas faire appel à un service rémunéré ? Et si le geste est bénévole ça passe mieux ? Non bien sûr ! Je rejoins ici Marcel Nuss qui résume
ici très justement la situation :
« Décrypter, cela signifie qu’une femme (car dans l’esprit des opposants, c’est forcément une femme) qui pratique l’accompagnement sexuel bénévolement, c’est une sainte et si elle se fait rémunérer, c’est une pute ! ».
Pourtant cette histoire ne se déroule ni au paradis, ni sur les trottoirs mais bel et bien dans nos chambres, là où il faut selon vous attendre que le bus soit accessible, que le cinéma soit accessible, que la brasserie du coin soit accessible. Nous ne sommes pas des belles au bois dormant, nous sommes des femmes et nous sommes en vie !
Alors oui, Madame Piot, des femmes en situation de handicap réclament la mise en place d’un service d’assistance sexuelle. Les hommes n’ont pas l’apanage des pulsions sexuelles, des besoins sensuels, des gestes essentiels. Et s’il faut le hurler, nous saurons retrouver nos voix.
En voici déjà quelques unes :
Amélie Laguzet – Tétraplégique depuis 1995
Mélinda Suvée – Porteuse d’une glycogénose de type II appelée aussi « Maladie de Pompe »
Laetitia Rebord – Porteuse d’une amyotrophie spinale