Je me demande où vont tous ces mots qui restent coincés dans la gorge. Ceux qui bloquent et font chevroter la voix. S’entassent t’ils au fond du gosier en une sourde cacophonie ? S’accrochent t’ils aux parois pour ne pas tomber dans l’oubli ? J’en ai tant garder, retenus, avant qu’ils ne puissent atteindre mes cordes vocales et devenir vivants. Les mots non-dits sont-ils d’ailleurs jamais nés ? Sont-ils morts-nés ? Ou sont-ils quelque part en attente de voir le jour ? Peut-être disparaissent-ils simplement.
Je suis de ces personnes qui ressassent les mots qu’elles n’ont jamais prononcé. Je mâche, je salive, je chique un tabac invisible au goût de silence. Je rumine dirait l’autre. Et des mots tus, j’en ai à revendre.
Je me fais l’effet d’un vinyle sans sillon. Le saphir caresse une galette parfaitement vierge. Seul un crépitement familier se fait entendre. L’intention est bonne, il y a quelque chose d’atypique, d’unique, dans ce silence inattendu. Mais voilà on n’en sait pas plus, le disque est muet. Inutile.
Je me raconte les mêmes histoires depuis si longtemps que j’ai fini par les croire. Un peu comme pour le père noël et le prince charmant. Pourtant il existe bien d’autres manières d’imaginer les aventures de ce gros bonhomme ventripotent et de cet ahuri à la mèche un peu trop bien coiffée. Mais celles, communes, connues, nous vont bien. Pourquoi se torturer l’esprit ?
Je me demande si le silence des mots étouffe. Je me demande s’il pourrait un jour déborder. Les mots sortiraient-ils dans l’ordre ou emmêlés en un brouhaha incompréhensible ? Je peux les sentir à ma gorge nouée. Ce sont eux qui se tordent à m’en clouer le bec.
J’ai eu envie d’écrire quelques uns de ces mots sur un bout de papier que j’aurais glisser sous un paillasson. Des mots jolis. Mais j’ai peur que jamais personne ne les découvre et qu’ils soient les compagnons des miettes et de la poussière. Et oser offrir des mots qui ne seront jamais lus est sûrement pire que de les garder pour soi.